Les communs environnementaux aux prises avec la méthanisation

Pierre-Yves Cadalen

Texte extrait de Les communs environnementaux aux prises avec la méthanisation, paru dans la revue Ecologie & Politique en 2020.

« En Bretagne, le biogaz produit par les 52 sites en injection couvre 4 % des besoins en gaz de la région. Avec les nouveaux projets qui sont déjà dans les tuyaux d’ici 2025, ce gaz vert assurera 14 % de la consommation bretonne. Mais il est possible d’augmenter immédiatement notre production de biogaz. Pour cela, il suffit d’autoriser les unités en injection à produire plus en levant la clause contractuelle qui limite chaque site à une production annuelle maximale. Une logique économique à l’heure où le prix du gaz d’origine fossile est plus élevé que le gaz vert produit par les agriculteurs-méthaniseurs. » C’est sur le site du journal Paysan breton, financé par Groupama, le Crédit Mutuel de Bretagne et l’entreprise transnationale de l’agroalimentaire Eureden, qu’est lancé cet appel énergique à accélérer le développement de la méthanisation en Bretagne après le début de la guerre en Ukraine.

Le Paysan breton défend donc un « gaz vert », issu de la méthanisation. La méthanisation est un processus de production de gaz, à partir de matières organiques fermentescibles ; en Bretagne, il s’agit majoritairement d’effluents d’élevage souvent liquides et riches en azote, auxquels un complément carboné, généralement du maïs, est apporté pour favoriser la production de méthane par anaérobie. Le complément carboné est d’autant plus crucial que les effluents d’élevage sont faiblement méthanogènes.

Deux types de valorisation existent. La cogénération produit pour partie de l’électricité, pour partie de la chaleur. L’injection produit direc- tement du biogaz intégré dans les réseaux de transport ou de distribution. Les volumes sont plus importants pour le second type de valorisation, qui demande donc des investissements plus lourds. Selon les chambres d’agriculture, tous types de méthanisation confondus, « 47 % des sites sont détenus par des agriculteurs » en France. L’agriculture est donc particulièrement décisive dans le développement de ce mode de pro- duction d’énergie. Même lorsque les sites ne sont pas détenus par des agriculteurs, les méthaniseurs sont pour partie abondés en matières d’origine agricole.

Le concept d’extractivisme, qui renvoie à une dépendance économique et un volontarisme politique pour exploiter des matières premières, permet de comprendre l’insertion des dynamiques d’exploitation des milieux au sein de l’économie générale du capitalisme. Ainsi pensons-nous, comme Mathilde Allain et Antoine Maillet, que « la forte interdépendance de nos économies et la matérialité de celles-ci rendent ce concept heuristique pour décrypter l’évolution du capitalisme ». Nous proposons de penser cette matérialité à l’aide d’un autre concept, celui de communs environnementaux, entendu à partir de la relation entre nos milieux de vie et leur perturbation massive par les activités économiques humaines, organisées au sein de l’économie-monde capitaliste. Les communs environnementaux sont dès lors définis comme ces « espaces dont la destruction ou la transformation rapide contribue à la destruction des conditions de la reproduction de la vie humaine », et de larges pans du vivant.

Le processus de méthanisation s’inscrit alors dans une double intrication. D’abord, l’intrication de l’économie capitaliste et des milieux de vie. Ensuite celle des communs environnementaux entre eux : l’atmosphère (puisque la technologie est conçue comme outil de la transition énergétique), les eaux de surface (vulnérables aux accidents éventuels et aux modalités de production initiales) et les terres arables (conditions de base du développement de la méthanisation) — ainsi que la biodiversité, directement liée à l’organisation de la production agricole. Ces espaces sont affectés par des dynamiques économiques partagées, à partir desquelles se déploie à grande échelle la technique de méthanisation. En cela, les communs environnementaux sont articulés à l’économie-monde et fonctionnent comme des brouilleurs effectifs de la hiérarchisation du monde social et politique par niveau de pouvoir.

Ces dynamiques économiques ont des conséquences sur les milieux de vie, qu’il nous semble important de saisir dans le cas de la méthanisation. Pour « étudier la matérialité des politiques de “transition” dans l’hémisphère nord », cet article se fonde sur des sources primaires relatives au développement de la méthanisation en Bretagne, des données des opérateurs eux-mêmes, des statistiques élaborées par la presse, ainsi que six entretiens et des échanges plus informels semi-directifs tenus en 2021 et 2022 avec des responsables politiques ou administratifs, des agriculteurs, des journalistes et des chercheurs intéressés par ces questions. La nécessité de se saisir du processus politique du développement de la méthanisation à partir des conditions matérielles et techniques de cette production est en effet posée par l’incontournable matérialité des questions écologiques. Quelles sont les conséquences de l’insertion de cette technique au sein de l’économie-monde et dans ses rapports aux communs environnementaux ?

D’abord, le développement de la méthanisation tend à pérenniser un modèle économique fondé sur l’élevage intensif. Ensuite, cette reconduction repose sur une économie-monde qui affecte matériellement les communs environnementaux. Il s’agit donc d’étudier les mécanismes de l’insertion de la méthanisation dans l’économie capitaliste. Cette analyse éclaire d’un jour nouveau les mobilisations contre la méthanisation, les quelles reconduisent l’opposition entre modèles agricoles antagonistes, une réalité sociale et politique prégnante en Bretagne et au niveau global.

La méthanisation comme reconduction d’un modèle économique

Le premier élément qu’il s’agit de soulever, afin de placer la méthanisation dans son contexte effectif de développement, est son articulation avec le modèle de production agricole breton. De fait, l’élevage intensif, singulièrement de porcs, de volailles et parfois même de bovins, domine la production bretonne. Le développement de la méthanisation provoque un effet de dépendance accrue à l’élevage intensif.

La Bretagne et l’élevage intensif : à la source des effluents

La Bretagne est la première région de production porcine de France, avec 5 300 exploitations porcines en 2019. Son cheptel est estimé à 7,6 millions de têtes cette même année. Près de 6 porcs français sur 10 sont élevés dans cette région de France 10. (…) Selon le sénateur EELV d’Ille-et-Vilaine Daniel Salmon, rapporteur chargé d’une mission d’information sur la méthanisation, l’articulation de la méthanisation avec l’élevage porcin est problématique. On doit l’interroger. « La méthanisation arrive sur un système que l’on voudrait pérenniser, que certains voudraient pérenniser en disant “c’est un système qui fonctionne”. Pour moi c’est un système qui ne fonctionne pas. » Ce débat sur le système agricole breton n’est en réalité pas nouveau, et cette critique fait écho à celle venue du monde paysan lui-même, dès les années 1950 et le début du tournant agricole vers une agriculture reposant davantage sur les intrants chimiques et céréaliers pour l’élevage. C’est le cas du Centre d’études pour un développement agricole plus autonome (CEDAPA), fondé en 1982, notamment par André Pochon, défenseur du modèle herbager pour nourrir les vaches laitières 15. Ce débat historique redouble aujourd’hui d’intensité à la faveur des discussions sur la méthanisation agricole : au niveau macroéconomique, un développement accru de la méthanisation agricole impliquerait un lien étroit avec l’élevage intensif.

Effet de dépendance et circularité liée à la méthanisation

Remonter, comme nous l’avons écrit, à la source des effluents, implique d’avancer un peu plus avant dans l’analyse du rapport entre le développement de la méthanisation agricole et l’agriculture intensive. En effet, l’articulation dynamique entre méthanisation et élevage intensif a une conséquence prévisible : la dépendance énergétique à un système d’élevage peu connu pour sa relation harmonieuse avec les communs environnementaux. Tel est d’ailleurs le pari formulé dans la citation introductive du Paysan breton.

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Il y a donc un développement important de la méthanisation en Bretagne. Cette augmentation à venir suscite une demande de déchets. Or, l’une des contradictions immédiatement soulevées par le développement de la méthanisation — à vocation écologique dans la mesure où elle est liée à la transition énergétique — tient précisément au développement de cette demande de « déchets agricoles ». Nous utilisons ici le terme de déchets agricoles, employé en droit. Cette notion en droit ne traduit pas la réalité biologique, puisque ces « déchets » sont des cultures pour le complément carboné ou des effluents d’élevage, matière organique dont le retour au sol lui est a priori bénéfique, surtout pour les plantes domestiquées. Le cas diffère lorsque ces effluents sont épandus en excès. C’est le problème de l’élevage intensif breton qui importe massivement des intrants et de la matière organique pour nourrir les bêtes, favorisant ainsi l’eutrophisation et le phénomène désormais bien connu et documenté du développement d’algues vertes et de la pollution des eaux. De ce point de vue, il faut distinguer l’épandage issu de matières organiques présentes au préalable sur l’exploitation, correspondant à un modèle extensif de polyculture élevage, de l’épandage de lisier en quantité excessive pour les sols du fait de l’importation de matières organiques comme le soja ou le maïs : étant entendu qu’un excès d’azote, dans le second cas, affecte négativement le milieu. Revenons à la logique circulaire : si des systèmes de méthanisation se développent, s’articulent à des réseaux de gaz qui fournissent des logements privés ou des structures publiques, la pérennisation de la demande est assurée. En d’autres termes, il faudrait toujours autant, et même, dans le contexte actuel de progression, davantage d’effluents pour pouvoir pérenniser la demande d’effluents d’un côté, l’offre d’énergie de l’autre : dans le cas breton, caractérisé par un élevage intensif immense, le développement de la méthanisation est un facteur d’inertie qui empêcherait la bifurcation vers un modèle d’agriculture extensif à plus haute valeur ajoutée et ayant un impact plus faible sur les communs environnemen- taux. En Bretagne, la méthanisation est donc un facteur de perpétuation de l’élevage intensif, comme le montre d’ailleurs la proportion d’effluents d’élevage utilisés (cf. tableau 2).

(…) De ce point de vue, le développement de la méthanisation en Bretagne est principalement porté par des agriculteurs « pionniers », tels que les identifient Rudy Amand et ses collègues. Avant tout attachés au déve- loppement économique, ces agriculteurs n’assimilent pas les politiques de transition énergétique auxquelles se lie la méthanisation à une menace pour le modèle agricole intensif : elles constituent même une nouvelle étape du développement linéaire vers le progrès agricole. De fait, « la transition énergétique telle qu’elle est conçue aujourd’hui dans l’agriculture s’inscrit dans cette idéologie du progrès, dans cette conception univoque du changement qui accompagne la valorisation et le dévelop pement de l’agriculture dite “raisonnée” ou d’autres types d’agriculture qui s’inscrivent toujours dans la logique intensive de l’après-guerre ». Cette lecture sociologique complète la thèse d’économie politique que nous avons formulée : le développement de la méthanisation agricole ne conforte pas uniquement le modèle intensif matériellement, il en assure la continuité sur le plan des représentations dans une partie du monde agricole. Un tel développement présente alors un autre effet prévisible : reconduire la centralité des exploitations agricoles d’élevage intensif en Bretagne. À l’heure où les débats sont intenses quant au futur du modèle agricole, la prise en compte de cette tendance est de première importance.

De l’insertion internationale de la méthanisation aux rapports sociaux et politiques afférents à son déploiement

Pour comprendre les conséquences économiques et environnementales du développement de la méthanisation agricole en Bretagne, il est également décisif d’en saisir les dynamiques internationales. Celles-ci renvoient en dernière analyse à des oppositions entre différents modèles agricoles dont la conflictualité sociale et politique, déclenchée par ledit développement à grande échelle, est une expression.

Dynamiques internationales de la méthanisation agricole

La dépendance de la méthanisation à l’élevage intensif pourrait être en soi une garantie d’autonomie, si le modèle d’élevage intensif n’était pas lui-même fortement dépendant des fluctuations du marché international.

(…) Deux positions se font face. D’un côté, comme le suggère l’article du Paysan breton cité en introduction, la méthanisation serait une garantie d’autonomie énergétique : le gaz vert aurait des vertus souveraines et énergétiques ; cet argument repose toutefois sur une stricte limitation au moment de la production énergétique, sans la lier aux dynamiques économiques internationales dont elle dépend. De l’autre, un argument plébiscité notamment par Daniel Salmon, mais également par Erik Halbran, journaliste spécialiste de l’eau et particulièrement intéressé par la méthanisation, considère le processus de production dans son ensemble : la filière internationale de l’élevage, les intrants importés en céréales pour le faire fonctionner, et enfin les effluents d’élevage, matière première de la méthanisation. Ce cadrage du problème est plus proche des défenseurs de l’autonomie paysanne et du CEDAPA évoqués plus haut. Si la production énergétique de biogaz est dépendante des intrants nécessaires à la production porcine, bovine et volaillère bretonne, elle n’est donc pas garante d’une production autonome : « Très clairement, [ce système d’élevage intensif] n’est pas durable du tout, et l’on voit bien en ces moments de tension internationale qu’il est très tributaire du prix du gaz, très tributaire des échanges qu’on a avec l’Amazonie. Car s’il faut déforester en Amazonie pour faire du soja qui va venir dans nos méthaniseurs… Nos cochons vont pisser un lisier et on va dire que ce lisier-là c’est renouvelable… non […]. » Il est donc impératif d’intégrer, comme dans toute analyse des com- muns environnementaux, les interactions impliquant l’ensemble des écosystèmes concernés par la production de biogaz, et donc l’ensemble de la chaîne de production : le soja, nourrissant les animaux d’élevage, finit en effet indirectement dans les méthaniseurs pour développer une énergie dite verte. En effet, depuis l’intensification du développement de la filière porcine en Bretagne, celle-ci est dépendante du marché global de l’alimentation animale.

(…)

Les cultures intermédiaires et l’impact écologique du maïs breton

La méthanisation demande également un apport de cultures énergétiques. En Bretagne, des cultures sont ainsi produites spécifiquement pour alimenter les méthaniseurs dont l’impact s’ajoute à celui du soja produit outre-Atlantique. En effet, les seuls effluents d’élevage ne suffisent pas à la production par un méthaniseur : il est nécessaire d’y apporter du carbone. Pour ne pas susciter un développement excessif des cultures principales dédiées au méthaniseur, qui sont plus rentables que les cultures alimentaires, un décret ministériel a déterminé à 15 % du tonnage brut total des intrants sur une année civile l’apport maximal aux méthaniseurs, aucune limite n’étant en revanche fixée pour les cultures intermédiaires à vocation énergétique (CIVE) 35. La question de l’apport carboné (maïs, féverol, sorgho, tournesol) est décisive, et le maïs nous intéresse particulièrement dans le cas breton. De fait, l’augmentation de la demande d’apport carboné pour les méthaniseurs est susceptible d’entraîner un accroissement de la production de maïs en Bretagne, ou d’orienter les productions déjà existantes vers les méthaniseurs plutôt que vers l’alimentation animale — renforçant potentiellement le volume des importations à cette fin. Or, le maïs pose deux problèmes relatifs aux communs environnementaux : il est consommateur d’eau en été, et laisse les terres à nu en hiver, ce qui est un facteur favorable à l’érosion des sols, puisque la pluie n’y rencontre aucun obstacle. La question des cultures ajoutées aux méthaniseurs enraie l’idée d’une économie circulaire fondée sur le simple retraitement des déchets, puisque la matière carbonée, ajoutée au processus, demande des cultures dédiées. Du reste, de l’avis d’un membre de l’administration, à ce jour les contrôles sont encore inexistants pour faire respecter ce seuil de 15 %, et la limitation des potentiels effets pervers de la substitution d’une culture énergétique à une culture alimentaire est, de ce fait, difficile à mettre en œuvre.

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La reconduction des oppositions entre modèles agricoles

L’orientation du modèle agricole affleure en réalité dans les débats autour de la méthanisation en Bretagne. Le rôle décisif des agriculteurs « pionniers » dans son développement la place du côté de l’agriculture intensive, même si de plus petites unités de méthanisation ont pu ouvrir la voie. L’adoption de méthaniseurs par des agriculteurs ne témoigne pas, au contraire de ce que souligne Laure Dobigny, d’une résistance à la modernité, retour d’un refoulé prémoderne. Elle relève bien plutôt de l’adhésion à une perspective écomoderniste appuyée sur les dynamiques de l’économie-monde structurant aujourd’hui la production d’énergie par méthaniseur, telles que nous les avons exposées pour le cas breton. La méthanisation s’inscrit pleinement dans l’imaginaire et les structures de production du capitalisme. En ce sens, l’assimilation, citée dans le texte de Laure Dobigny, du « digesteur » de méthaniseur à une panse de vache, doit être lue à rebours de l’interprétation qu’elle suggère : loin d’ériger la méthanisation en processus naturel, cette analogie renvoie plus vraisemblablement à la mécanisation du rapport à l’animal suscité par le mode de production intensif. Autrement dit, le digesteur n’y est pas assimilé à une panse, mais la panse assumait déjà une fonction de digesteur, perspective mécaniste projetée sur la nature, et non résistance à la modernité.

(…) En effet, la conflictualité autour de la méthanisation n’oppose pas les défenseurs de l’écologie aux adversaires de la transition énergétique, mais plutôt les partisans du modèle économique au sein duquel elle s’insère, aux défenseurs de son dépassement. Cet enjeu est directement lié aux communs environnementaux : les eaux de surface bretonnes sont affectées par l’élevage intensif, les terres arables pourraient connaître davantage d’érosion si ce modèle persistait, la qualité de l’air est sérieusement affectée par les émissions d’ammoniac liées aux élevages, qui nourrissent également le changement climatique.

(…) Le développement de la méthanisation en Bretagne ne saurait être lu hors de ce débat tout aussi politique qu’agronomique entre différentes conceptions du développement agricole de la région, de la condition des agriculteurs et du rapport entre marché international, marché national et marché régional. Ce débat a une dimension globale : l’agriculture indus- trielle et intensive est fortement dépendante de la stabilité de l’économie capitaliste, et moins efficace que l’agriculture paysanne, comme nous le rappelle Hélène Tordjman dans son ouvrage La croissance verte contre la nature.

Conclusion : de l’amazonie au centre-bretagne, des pistes comparatives pour penser les communs environnementaux

Les conditions de possibilité de la préservation des communs environnementaux et d’un usage autre de la méthanisation semblent se rejoindre dans la perspective du réencastrement de l’économie, à partir des préoccupations socioécologiques : une technique seule, insérée dans un contexte économique capitaliste, ne peut s’articuler correctement aux problèmes transversaux posés par l’Anthropocène.

Dans cette perspective, la redéfinition des communs environnementaux, comme espaces dont l’altération, la dégradation ou la destruction rapide peuvent contribuer à l’érosion des conditions d’existence de l’humanité et de larges pans du vivant, paraît féconde. Il est illusoire d’imaginer séparer les enjeux relevant de la qualité des eaux, de l’air, de la biodiversité, de la stabilité du climat ou encore de la préservation de terres arables pour garantir l’autonomie alimentaire. En matière agricole, l’évidence de cette interdépendance apparaît immédiatement. La transition énergétique ne peut répondre à ses objectifs si elle devient un mode de pérennisation des structures économiques existantes.

L’Amazonie a fait une irruption inattendue dans cette étude sur la méthanisation agricole, et le lien entre communs ruraux en Bretagne et forêt tropicale est constitué matériellement par les importations de soja brésilien qui parcourent le trajet de l’Amérique du Sud à certaines cuves bretonnes de méthanisation en passant par les animaux d’élevage. De ce point de vue, la puissance d’intégration du centre capitaliste, qui donne une forme concrète à des initiatives présentant initialement un caractère compatible avec la préservation des communs environnementaux, est un trait reliant des éléments a priori aussi différents que l’initiative Yasuní-ITT du gouvernement équatorien ou la possibilité d’une méthanisation localisée pour l’autonomie paysanne. Dans un cas comme dans l’autre, la puissance d’intégration conduit à la perpétuation de modes de production, exploitation pétrolifère ou élevage intensif, manifestement aux antipodes de ladite préservation à court ou moyen terme.

Mais persiste également la possibilité d’opérer des transformations sociales et politiques telles que puisse exister une compatibilité à terme entre modes de production humains et communs environnementaux. Ces choix relèvent bien davantage des rapports de pouvoir sociaux et politiques que du seul champ de la technique, auquel l’on aurait bien tort de confier nos espoirs en ces temps marqués par l’irruption de l’Anthropocène dans notre histoire. L’Amazonie et la Bretagne nous l’indiquent, notre devenir nous appartient plus que jamais.