Ressources minérales : demande, production, réserves, déplétion, criticalité et consœurs

Résumé de la présentation d’Olivier VIDAL (CNRS, Isterre Olivier VIDAL (CNRS, Laboratoire Isterre) lors des Rencontres EcoInfo en Janvier 2018.

Rédigé par Françoise Berthoud, Amélie Bohas, Eric Drezet et Olivier Vidal.

(Article disponible sur le site d’EcoInfo)

Quelques constats

La croissance des pays et le développement de la population se fondent sur les consommations d’énergie primaire et de ressources minérales de base que sont l’acier, le ciment, l’aluminium et le cuivre. Ces ressources constituent les éléments indispensables à la fabrication de nos sociétés industrielles (construction de bâtiments, d’infrastructures et réseaux de transport, …). Or on observe que leur consommation, dont le taux de croissance annuel moyen varie de 2 à 6%, est directement relié au niveau du développement d’une économie. Ainsi, la demande pour ces ressources se stabilise lorsque le niveau de richesse du pays atteint un certain niveau : à titre d’exemple pour l’acier, cette variation s’observe lorsque le PIB dépasse 20 000$ par habitant. Les pays se tournent alors vers des métaux plus rares tels que le gallium, le tantale, les terres rares… que l’on appelle aussi des métaux « high tech » car entrant dans la composition des équipements « high tech ». La demande pour ces produits explose aujourd’hui (en particulier dans les secteurs de l’électronique et des télécommunications, de l’automobile ou encore de l’énergie pour la fabrication des panneaux photovoltaïques ou des éoliennes) puisque leur taux moyen annuel de croissance de consommation est de 10 à 12%. Un taux de 10% par an signifie que la consommation de ces métaux double tous les 7 ans.

La croissance va-t-elle se poursuivre pour les 50 prochaines années ?

Cette question renvoie à celle de la limite à la croissance (Meadows et al. 1972) et au « risque économique » associé ainsi qu’à celle de la rupture d’approvisionnement en ressources non renouvelables. O. Vidal introduit alors le terme de « criticalité » (traduction qu’il propose de la notion de « criticality ») qui mesure, pour une période donnée, le risque économique de baisse d’approvisionnement. Le risque est le produit de la probabilité d’occurrence d’un évènement pouvant induire une rupture de la chaîne d’approvisionnement par les conséquences économiques de cette rupture d’approvisionnement, pour un secteur industriel donné. L’évènement peut être d’ordre environnemental, géopolitique, géologique, etc.

La criticalité d’un minerai, pour être correctement appréciée, doit également prendre en compte la notion d’interdépendance des cycles de production : certains métaux sont exploités pour eux-mêmes (Zn, Pb, Cu, Al, Fe, Ni, Sn, Ti, Mg, Cr, Mn, Au), d’autres sont des co-produits et enfin il y a des éléments qui ne sont jamais exploités pour eux-mêmes, ce sont des sous-produits (Ga, In, Co, Ge, Ru, Rh …). Par exemple, le gallium n’est jamais extrait pour lui-même, c’est un sous-produit de l’exploitation des mines de bauxite (aluminium) ou du zinc. On peut ainsi penser que pour augmenter la production primaire du gallium, on doit nécessairement augmenter celle de l’aluminium ou du zinc. Les données de ces cinq dernières années montrent pourtant que la production de gallium a augmenté plus fortement que celle de l’aluminium, car les industriels ont entrepris de retraiter massivement les sous-produits de l’extraction de l’aluminium en réponse à l’explosion du prix du gallium, ce qu’ils ne faisaient pas auparavant, quand le prix du gallium était plus bas. De ce fait, les consommations de l’aluminium et du gallium seront réellement couplées lorsqu’on aura extrait tout le gallium des résidus miniers.

L’exploitation des ressources est fonction du progrès technologique

Il faut bien s’entendre sur la notion de réserve qui est la part d’une ressource qui est techniquement et économiquement exploitable, la ressource étant une concentration naturelle anormalement élevée de matériau solide, liquide ou gazeux. Les réserves varient avec le prix et les technologies, qui contrôlent la capacité à transformer les ressources en réserves. C’est d’ailleurs le rôle de l’industriel de développer cette capacité afin de garder un niveau de réserves suffisant pour maintenir la production en adéquation avec la demande. Ainsi toute réponse simple à la question de la « durée de vie » d’un matériau est une réponse fausse. Les ressources évoluent (on découvre de nouveaux gisements à exploiter… même si c’est de moins en moins vrai), les technologies évoluent… Donc on repousse les limites connues des réserves exploitables. Il y a des minerais que l’on exploite aujourd’hui à des teneurs qu’on jugeait inexploitables avant mais en corollaire, la quantité de déchets explose avec la baisse de concentration. On peut citer l’exemple du cuivre qu’on exploite actuellement grâce aux porphyres cuprifères à une teneur de 1% (dans le futur, on devrait se stabiliser à moins de 0.5 %) alors que c’était impensable au début des années 1900. Ces évolutions conduisent à une « durée de vie » des réserves de cuivre (de l’ordre de 35 à 40 ans) approximativement constante depuis 70 ans, et une augmentation régulière des réserves de cuivre depuis 150 ans, malgré une production croissante.

Mais l’exploitation minière est aussi corrélée au coût énergétique et au prix de la production

Aujourd’hui le prix est bien corrélé avec la teneur du métal dans la roche : la valeur du métal est fonction de l’énergie nécessaire pour l’extraire à technologie constante. Si les concentrations des gisements exploités diminuent avec le temps (épuisement des gisements concentrés), à technologie constante, on devrait avoir une augmentation de l’énergie nécessaire à l’extraction des métaux. La tendance à augmenter les réserves a donc une limite qui correspond au coût de production acceptable. Cependant, il arrive qu’avec l’amélioration des processus et technologies, on puisse abaisser la quantité d’énergie nécessaire pour l’extraction : c’est notamment ce qui s’est produit avec le cuivre (grâce au passage de la pyrométallurgie à l’extraction par solvant) ou encore le zinc. Il faut toutefois noter que cette diminution concerne plus particulièrement les métaux à forte teneur dans le minerai (fer, aluminium) ; en revanche pour les métaux dilués i.e. à faible concentration, l’énergie tend à augmenter avec la baisse de la concentration, c’est notamment la phase de concassage des roches qui est la plus énergivore. Cela dit, la part broyage est « réduite » dans le cas des métaux technologiques sous-produits de l’extraction de grands métaux, car il faut de toute façon broyer les roches pour extraire le métal primaire. Pour les métaux à forte concentration, c’est la phase de réduction chimique qui consomme le plus d’énergie (par rapport à l’extraction du minerai dans le sol) et c’est là que la technologie progresse et qu’on économise de l’énergie.

Pour autant, la véritable limite à l’exploitation des minerais et qu’il ne sera pas possible de repousser, c’est la limite thermodynamique qui correspond à l’énergie physique nécessaire pour obtenir un métal à partir d’un oxyde, d’un sulfate ou d’un sulfure.

Le recyclage présente les mêmes complexités

L’énergie de recyclage correspond à l’énergie de séparation des composants. Plus on augmente la variété d’assemblages métalliques dans les produits, plus on diminue le potentiel de recyclage et a contrario plus on augmente le coût du désassemblage. Or les équipements high-tech contiennent une grande complexité de métaux (plus de 40 métaux dans un seul smartphone), la séparation des métaux implique donc un grand nombre de phases (tandis qu’on en compte seulement deux en extraction primaire, le métal et sa matrice). C’est donc le prix du métal produit à partir de réserves primaires qui conditionne le recyclage : le prix de la production (à technologie constante) est comparé au coût du recyclage.

Une conclusion qui invite à ouvrir davantage la réflexion

La question de la déplétion des métaux high-tech comme les terres rares est importante mais elle l’est encore plus s’agissant des ressources minérales de base au regard des quantités extraites et des volumes déplacés.

La réponse à cette question ne peut être simple, de même que le futur n’est pas inscrit dans le marbre. L’aspect « comptable » des modèles ne doit pas occulter les conséquences de la croissance qui n’est pas seulement un problème de nutriments et d’énergie mais aussi de production de déchets. La croissance et la maximisation de production de l’entropie semblant naturelles, il y a peu de chances que l’on parvienne à se restreindre « naturellement », aussi, on sera nécessairement contraint de s’adapter.

Le recyclage est un impératif, mais on recycle ce que l’on a produit des décennies plus tôt, alors que la production totale était plus faible qu’aujourd’hui. Il est donc évident qu’en période de croissance de la demande, la quantité de métaux disponibles pour le recyclage est largement inférieure à la demande totale. De plus, le recyclage sans perte est impossible. Pour ces deux raisons, la production primaire sera toujours nécessaire. La substitution de matériaux critiques par d’autres moins critiques est une autre solution. Le développement de solutions technologiques ou organisationnelle de rupture sont également des voies à explorer. En attendant, l’industrie du recyclage ne doit pas se développer uniquement sur des flux mais aussi sur des stocks. Il est donc essentiel de garder précieusement nos déchets ! Les déchets d’aujourd’hui étant les mines de demain, c’est la seule possibilité de localiser de la production nationale (la majorité des mines « géologiques » étant en dehors de l’Europe).